Chapitre I : L´origine de la
philosophie
Qu’est-ce que la
philosophie ?
1. Définition
Étymologiquement, le mot philosophie
dérive de deux mots grecs : philein
(aimer) et sophia (sagesse), d’où le
terme « amour de la sagesse ». L’étymologie du terme
« philosophie » nous livre deux renseignements : d’une part,
l’intention qui sous-tend l’effort du philosophe, c’est l’amour ou le
désir ; et, d’autre part, l’objet de la philosophie ou la visée de
l’effort philosophique, c’est la sagesse ou la science. Le philosophe tend vers
la sagesse comme vers un objet désiré, convoité afin de combler le creux qu’il
éprouve en lui. Concevoir la démarche philosophique comme un désir,
c’est-à-dire comme un manque de… et un élan vers…, c’est donner à la
philosophie un mouvement qui lui est essentiel : celui d’une recherche rationnelle
capable d’expliquer et de faire comprendre ce qu’est l’homme, le monde et les
fondements des connaissances des hommes. Karl Jaspers affirme que :
« l’essence de la philosophie, c’est la recherche de la vérité, non sa
possession », ou « faire de la philosophie, c’est être en
route ».
2. genèse et évolution historique
La tradition occidentale fait de la Grèce antique le berceau de la
« philosophie ». Or, les recherches historiques montrent que Égypte
a précédé et ouvert la voie au développement de la pensée philosophique en
Grèce. La rupture que les présocratiques instaurent entre le mythe et le discours
rationnel est inspirée (tire sa source) de la doctrine égyptienne de l’homme comme
« être supérieur », intelligent ; actif du point de vue de la
pensée et de la connaissance. L’activité philosophique en Égypte date d’au
moins 3000 ans av. JC.
Ce n’est que vers le VIème siècle av. JC que l’activité philosophique
commence véritablement chez les Grecs. D’après Aristote : « Ce fut
l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux
spéculations philosophiques». L’étonnement est donc l’origine de la
philosophie. Philosopher, c’est donc vouloir « échapper à
l’ignorance », c’est vouloir combler le manque que l’étonnement a rendu
manifeste en nous dans l’aperception de l’aporie, détectrice de l’ignorance.
Au VIème siècle av. JC, les sages présocratiques élaborent une image de
l’univers qui élimine toute mythologie et les divinités, pour se laisser
éclairer par la lumière de la raison. Leur originalité consiste à expliquer la
nature par elle-même, par des éléments naturels et non par des divinités. Les quatre
figures marquantes de cette période dite présocratique sont:
- Thalès de Milet : figure centrale
de cette période, pense que l’eau constitue le fondement, l’essence du monde,
sans doute parce que indispensable à la vie : toute chose se nourrit de
l’humidité. L’eau qui a aussi une dimension symbolique, car sa fluidité révèle
la dimension fluide de l’existence qu’on ne peut pas saisir. En affirmant arché dans le dynamisme de l’eau, Thalès
fait appel à l’intelligence qui collabore avec l’eau pour mettre le dynamisme
dans le monde. Il faut qu’un mouvement spirituel intervienne pour justifier
l’eau comme fondement de la vie.
- Anaximandre : disciple de Thalès, se préoccupe lui aussi de l’arché, le principe premier, le
fondement qu’il nomme apeiron (l’infini).
L’apeiron donne à chaque être la
direction qui convient pour qu’il reste en harmonie avec les autres Étants (la
chaleur - froid, naissance-mort, les catastrophes naturelles, etc). L’apeiron est purement intelligible. Il
est la condition pour que les choses se présentent à nous. C’est l’origine de
l’existence des Etants, car sans lui les Etants ne pourraient exister.
- Anaximène : L’air est le principe
premier, ce qui fait vivre.
- Héraclite : Le feu est le principe
premier parce qu’il régit l’existence.
3. Socrate et la
conscience de l’homme
Socrate n’a rien écrit et, cependant, son prestige et son influence ont
été considérables. C’est de sa vie qu’il faut partir car son activité
philosophique est étroitement liée à sa vie. Fils de Sophronisque, sculpteur,
et de Phénarète, une sage-femme, il fut envahi de curiosité pour la philosophie
et les recherches scientifiques. Son occupation caractéristique consistait à se
promener à travers Athènes : il y flânait et questionnait ses
interlocuteurs sur des questions d’ordre éthique : Qu’est-ce que le
courage ? Qu’est-ce que la justice ? La vertu
s’enseigne-t-elle ? Il engageait avec tous, le dialogue et accouchait les
esprits comme sa mère accouchait les corps. Cet art d’accoucher les esprits, de
leur faire découvrir leur propre vérité, de mettre à jour les semences spirituelles,
c’est ce que l’on nomme la maïeutique.
Le sage, le saint, le musicien voilà des noms attribués à Socrate. Une
personnalité fascinante et pittoresque, érotiquement experte à perler (délicatesse,
soin minutieux) les âmes comme des fruits.
Le sage : c’est le mot de
l’oracle de Delphes, la Pythie
a répondu à la question de Chéréphon, que nul n’est plus sophos que Socrate.
Le saint : Socrate est
déclaré saint, parce qu’il est un homme juste, de piété par rapport aux choses
sacrées, le plus éveillé de tous les Athéniens : « O, cher Pan
et vous tous, dieux d’ici, donnez-moi de venir à la beauté intérieure. Tout ce
que je tiens du dehors, faites qu’il s’accorde avec l’en-dedans ; et
puissè-je croire que le riche, c’est le sage ! Et de l’or, en eussé-je
autant que le seul prudhomme serait capable d’en porter et traîner. »
Musicien : par accident,
par la force contraignante des songes, Socrate se fait
poète : « puisqu’il n’est plus de haute musique que la
philosophie. »
Dans le Menon, Socrate est
comparé à la Torpille ; ce
large poisson de la mer qui engourdi la main qui la touche. En dialoguant,
Socrate jetait le trouble à l’intérieur des consciences, inquiétait ses
interlocuteurs, les mettait en contradiction avec eux-mêmes, les conduisait
vers un état d’aporie, c’est-à-dire d’embarras. La fameuse ironie socratique,
c’est un art de questionner en feignant l’ignorance, avec une apparence de
naïveté, de telle sorte que l’autre découvre qu’en réalité il ne sait rien.
Tout cela devait mal finir. En 399, Socrate fut accusé dans les formes légales
devant le peuple. On lui reprochait de corrompre la jeunesse, de ne pas croire
aux dieux de la cité et d’en introduire de nouveaux. Condamné à boire la ciguë,
il déclina les offres de ses amis qui préparaient son évasion et mourut
bravement.
Cet accoucheur spirituel a dirigé ses interlocuteurs vers le « connais-
toi toi-même », le fameux « gnôti séauton » déjà gravé au
fronton du temple de Delphes. Mais comment se connaître ? Comment avoir la
connaissance de soi ou la conscience de soi ? Mais que signifie le soi sur
lequel la réflexion porte ? Socrate dit: « il y a
philosophie lorsque les hommes entreprennent de réfléchir sur leur condition,
de penser par eux-mêmes les principes et les normes suprêmes qui régissent leur
existence individuelle et collective. Il y a philosophie lorsque les hommes
s’appuient sur la raison pour trouver des solutions aux problèmes humains et
sociaux ».
21/09/2015
4. La méthode philosophique
Étymologiquement, le mot méthode se réfère à la « poursuite », à
l’effort pour atteindre une fin, à la recherche ou à l’étude. Chez Aristote, le
mot méthode signifie « recherche ». Les philosophes modernes tentent
de définir la méthode comme un chemin ou l’ensemble des règles et des procédés
qu’emprunte la raison pour atteindre la vérité. La méthode philosophique par
excellence est l’ironie socratique, cet art de questionner en feignant
l´ignorance avec une apparence de naïveté, jusqu’à ce que l´interlocuteur
découvre qu´il ne sait rien. On la désigne aussi du nom de maïeutique socratique, l´art d´accoucher les esprits. C’est une
méthode interrogative qui dévoile l´ignorance qui s´ignore, les faux savoirs et
les certitudes de la société établie. Elle est l´aiguillon qui réveille les
consciences endormies dans le dogmatisme des idées reçues. L´autre versant de
l´ironie socratique, c´est la dialectique entendue comme rupture avec les
apparences.
Platon pour sa part définit la dialectique comme un effort pour atteindre
l’Idée, comme la démarche par laquelle l’esprit s’élève aux Idées du monde
intelligible. Platon subordonne le monde sensible en perpétuel changement à un
monde d’Idée, un monde idéal qui, lui, reste, objet de la pensée pure, modèle
de toutes choses, réalité non perçue et cependant plus réelle que les fugitifs
êtres sensibles. Il développe une doctrine intellectuelle et mystique, il
s’agit d’une ascension par degré. La dialectique, c’est cette ascension qui par
du monde sensible vers le monde intelligible, c’est-à-dire on passe de la doxa à l’épistémè, de l’opinion à la
vraie connaissance. Le philosophe, ayant contemplé les essences éternelles, est
capable de modeler la cité terrestres sur de la justice : que chacun fasse
ce qui lui revient. Platon rêve à un pouvoir intellectuel : il lie
inextricablement savoir et pouvoir. Seul, le philosophe est habilité à diriger
la cité, étant entendu que le vrai philosophe est nécessairement un sage, un
ami de la rationalité et de la moralité. La sagesse, c’est la source de toute
connaissance, d’un esprit de discernement du bien et du mal, l’art d’être
attentif dans la gestion de la chose publique, l’art de bien gouverner. Et la
voie royale d’avènement d’hommes sages dans la société est claire et
unique : l’éducation, l’apprentissage, la recherche de la vie
intellectuelle et de la vie morale. La culture de l’intelligence et du sens
moral, de la science et de la conscience est le chemin qui mène à la sagesse,
laquelle est indispensable dans la vie politique comme dans les relations
humaines de tous les jours.
La dialectique suppose une montée méthodiquement réglée hors de
l’expérience quotidienne. Son livre La République
présente la théorie des Idées et la dialectique sous une forme concrète et
imagée dans le célèbre mythe de la caverne.
Les hommes, explique-t-il dans le
livre VII de la République, sont
semblables à des prisonniers enchaînés dans une caverne et tournant le dos à
l’entrée ouverte à la lumière. Un feu, allumé sur une hauteur, brille derrière
eux. Sur la paroi de la caverne se projettent les ombres d’êtres allant et
venant, porteurs de statuettes. Les prisonniers, qui n’ont jamais vu le vrai
jour, prêtent évidemment aux ombres une réalité qu’elles n’ont pas.
Ces prisonniers sont notre image, la
prison représente notre monde visible. Les prisonniers que l’on tournera vers
la clarté, jusqu’au grand jour où brille le vrai soleil (l’Idée du bien),
seront éblouis et souffriront en cette ascension dialectique. Car la sortie
hors de la caverne représente bien le cheminement dialectique.
Le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel conçoit quant à lui
la dialectique comme « l´art de surmonter les contradictions pour
atteindre la vérité ». La dialectique est l´instrument de la réflexion
philosophique, qui a pour fonction l´analyse critique des notions et idéologies
autour desquelles s´élaborent (s’organisent) les agissements politiques et les
pratiques sociales quotidiennes ; qui sont des lieux d´erreurs, de
l´illusion et de la violence en tant qu´expression des passions et des intérêts
particuliers et partisans.
Avec R. Descartes la méthode se définit alors comme une exigence
intellectuelle qui suppose le bon usage de la raison. La méthode cartésienne
repose sur quatre règles (l´évidence, l´analyse, la synthèse et le
dénombrement).
·
La règle de l´évidence
consiste à refuser les opinions recueillies par ouï-dire, à n´admettre comme
vrai que ce qui est clair et distinct, ce dont on ne peut douter.
·
L´analyse
est la règle par laquelle on divise la difficulté en autant de parties qu´il
sera nécessaire pour la résoudre.
·
La
synthèse consiste à aller du plus facile au plus difficile et du plus
simple au plus composé par un enchaînement rigoureux.
·
Le
dénombrement invite à rechercher et à recenser tous les éléments
nécessaires à la solution d´un problème sans rien omettre.
La méthode cartésienne inaugure la liberté de pensée et l´esprit
d´examen. Les caractéristiques de cette méthode sont : la réflexion
critique, l´attitude interrogative, le refus des apparences, la mise en
question radicale.
5. Quel est l’objet de la philosophie ?
De l’époque d’Aristote (IV.s av. JC) à celle de Descartes (XVIIè. s) la
philosophie était considérée comme la mère de toutes les sciences. Cependant, à
force de temps et du progrès de la spécialisation dans la connaissance
scientifique de la nature, ont assiste à une sorte d’émancipation des diverses
sciences de la racine philosophique. Chacune se détache de la philosophie
en précisant son objet, sa méthode, ses résultats et les buts qu’elle vise. Le
domaine de l’humain où la philosophie a cru longtemps disposer d’une chasse
gardée est conquis par les sciences dites humaines : la philosophie
naturelle, s’occupe du monde physique et de la nature, la philosophie morale,
s’occupe de l’homme et de son être social, la philosophie première, s’occupe de
la métaphysique.
Même si Jean-François Revel dit que face à la science « la
philosophie se trouve dans une situation inconfortable », ou selon les
mots de Maurice Duverger : « La philosophie doit être remplacée par
les sciences » ; ne perdons pas de vue que la philosophie est avant
tout une exigence de savoir, c’est-à-dire amour du savoir et réflexion sur le
savoir. En tant qu´art de raisonner, la philosophie est avant tout la science
universelle et de l´Universel ; étant entendu que l´Universel, c´est ´homme
en tant que sujet pensant, agissant et croyant. Comme l’écrit Martin
Heidegger : « La philosophie, c’est la gardienne de l’être ».
6. Qu’elle est la finalité de la
philosophie ? Théorique et pratique
Quelle fonction joue la philosophie dans la totalité sociale ? Elle
remonte à la racine des choses, aux causes premières, aux principes premiers et
aux fondements. Épicure dit que la philosophie est ce « raisonnement
vigilant, capable de retrouver en toutes circonstances les motifs de ce qu’il
faut choisir et de ce qu’il éviter, de rejeter les vaines opinions ». La
finalité véritable de la philosophie est la poursuite de la vérité, la
recherche du savoir et de la sagesse. La véritable sagesse est celle qui
confère la connaissance vraie du réelle dans sa totalité. Ce qui fait
l´universalité de la philosophie, c´est qu´elle repose sur la raison en tant
que faculté législatrice de la pensée et de l´action, donc inscrite au cœur du
réel. Elle est l’ensemble des réflexions approfondies que l’humanité développe
sur sa propre existence, sur le monde et sur les sujets qui l’étonnent.
Elle ne s´occupe pas seulement de l´intelligence, mais aussi de la vérité
et de ses actes. En tant que quête de la sagesse qui n´est rien d´autre que la
vertu, la philosophie est à la fois la science des choses divines et humaines
(Cicéron, De officiis). C´est dans
l´action que réside tout éloge de la vertu. La justice et l´honnêteté dans
l´action relève de la volonté, par conséquent de la pratique.
Conclusion
Les présocratiques étaient préoccupé par la recherche de l’arché o principe originaires des êtres
naturels. Leur investigation était basée : premièrement, sur une démarche
rationnelle (logique). Ils ne font plus recourt aux éléments extranaturels pour expliquer le
fonctionnement du cosmos. Deuxièmement, ils ont eu l'audace
d'attribuer une origine ou un principe commun et matériel à la
pluralité des êtres naturels, réduisant ainsi la pluralité à l'unité et jetant
pour ainsi dire, les bases de la pensée scientifique et philosophique.
De Socrate à Platon en passant par Hegel et Descartes, nous avons noté
que le philosophe fonde sa foi en l’autorité de la raison laquelle, étant
acquise par l’homme, lui permet de dépasser les frontières de la nécessité, et,
en même temps, de mériter sa propre dignité. Connaissance, création et parxis se révèlent, dès lors, comme les
moyens les plus sûrs qui permettent à la conscience de rejoindre le monde réel.
Cette pensée ne cesse de justifier la présence intellectuelle de l’homme dans
un monde dont la complexité s’avère de plus en plus irréversible.
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