Première
partie : L’homme dans ses rapports avec autrui
Chapitre
IV : La conscience et l’inconscience
I.
La
conscience
Objectif
pédagogique
Au terme
de cette leçon, l’élève doit être en mesure de dégager les facteurs qui
déterminent la vie consciente, tant sur le plan psychologique que moral, les
paramètres des actes inconscients, ainsi que les enjeux philosophiques de
l’hypothèse de l’inconscient psychique.
Définition
La conscience est la connaissance
plus ou moins claire qu’un sujet qui pense a de soi, du monde ou de ses actes. Le philosophe Karl Jaspers affirme que : « La
conscience est la totalité du moment (…) la totalité de la vie psychique
actuelle ». Dire d’un être qu’il sent, qu’il perçoit, qu’il se souvient de
quelque chose, qu’il prépare une action ou qu’il se sent ou se sait être
quelqu’un qui dirige son existence vers telle ou telle fin, c’est toujours et
nécessairement dire qu’il est conscient. Le philosophe Henri Ey écrit :
« Etre conscient c’est donc disposer d’un modèle personnel de son monde ».
Un être conscient, disposant de ce qu’il vit en conformité avec ce qu’il a à
être, est essentiellement un être logique et éthique, un « être de
raison » qui conjugue son sentir, son désir et son savoir aux divers temps
de ses possibilités. La conscience est ce qui définit l’homme. Si l’animal en
reste au simple sentiment de soi et à l’expérience spontanée où n’émerge pas le
moi, l’homme se sait au contraire comme moi. Voilà pourquoi Alexandre Kojève
écrit : « L’homme est conscience de soi. Il est conscient de soi,
conscient de sa réalité et de sa dignité humaine, et c’est en ceci qu’il
diffère essentiellement de l’animal, qui ne dépasse pas le niveau du simple
sentiment de soi. ».
Pensée et conscience de soi ne
font-elles pas la grandeur de l’homme ? Ainsi Blaise Pascal proclame-t-il
la supériorité de l’homme sur tout ce qui l’écrase : notre dignité
consiste en la pensée, en la saisie de nous-mêmes, en cette conscience qui fait
notre puissance, mais qui est inséparable de la saisie de notre néant et de notre
faiblesse : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la
nature ; mais c’est un roseau pensant (…). Quand l’univers l’écrase,
l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il
meurt. » B. Pascal.
A)
Les
modalités de la conscience
- La
conscience comme pensée : le cogito cartésien
C’est Descartes qui a posé
historiquement la conscience de soi comme la terre natale de la vérité, comme
cette certitude résistant au doute et permettant d’avancer dans la voie sûre de
la science à partir d’un point fixe et assuré. Au sein même du doute universel,
la certitude surgit. Le « Je suis,
J’existe » représente l’évidence de la réflexion. Même si un malin
génie me trompe en toutes choses, cependant l’évidence du cogito s’avère
inébranlable. Cette saisie du cogito ne se confond pas avec une simple
certitude ; elle se révèle une liaison nécessaire, indépendante de moi, et
fournit le modèle de la vérité. Le « cogito,
ergo sum » exprime cette naissance historique du sujet pensant, cet
avènement de la conscience-de-soi dans l’histoire de la pensée humaine :
« En remarquant que cette vérité : Je pense, donc je suis, était si
ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des
sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la
recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je
cherchais. » R. Descartes.
Qu’est essentiellement la
conscience ? Le cogito est d’abord fondamentalement unité et effort de
synthèse. La conscience est un pouvoir unificateur, une liaison opérant la
synthèse du divers, une activité de synthèse, un creuset où la multiplicité
vient se fondre.
- La
conscience comme synthèse : le cogito pratique
Cette activité unificatrice qui
définit la conscience, nous pouvons l’envisager sous deux angles :
théoriquement et pratiquement. Sous l’angle théorique, la conscience de soi
correspond à la saisie de l’esprit par lui-même. Quand l’homme se contemple et
se dédouble, alors la prise de conscience apparaît comme l’acte essentiellement
intellectuel par lequel je réfléchis sur la pensée en tant que telle. On peut
parler d’introspection (introspicere :
regarder à l’intérieur) ou, mieux encore, de réflexion. G.W.F. Hegel écrit à ce
propos : « Les choses de la nature n’existent qu’immédiatement et
d’une seule façon, tandis que l’homme, parce qu’il est esprit, a une double
existence ; il existe, d’une part, au même titre que les choses de la
nature, mais, d’autre part, il existe aussi pour soi, il se contemple, se
représente à lui-même, se pense, et n’est esprit que par cette activité qui
constitue un être pour soi ». La formule courante dit : « en mon
âme et conscience, j’ai décidé que… ».
A côté de cette conscience
théorique, il est une conscience pratique, naissant de l’activité correspondant
à l’action des hommes. C’est une notion extrêmement importante, que Hegel met ici
en relief. En agissant, nous extériorisons notre moi et marquons le monde de la
forme du sujet. Conscience, ce « pour-soi », devient alors un
« en-soi », une chose, ou plutôt un « en-soi-pour-soi ». Ce
cogito pratique possède une
importance tout aussi grande que le cogito théorique. Hegel dit que : « Deuxièmement,
l’homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu’il est poussé
à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné
immédiatement, dans ce qui s’offre à lui extérieurement. Il y parvient en
changeant les choses extérieures, qu’il marque du sceau de son intériorité et
dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L’homme agit
ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère
farouchement étranger. »
- La
conscience comme intentionnalité : Edmond Husserl et Jean-Paul
Sartre.
La philosophie moderne, avec Edmond
Husserl, approfondit elle aussi l’aspect actif de la conscience. Tel est le
sens de la fameuse formule de Husserl : « toute conscience est
conscience de quelque chose ». La conscience et le monde sont donnés d’un
même coup : extérieur par essence à la conscience, le monde est, par
essence, relatif à elle. L’intentionnalité désigne la nécessité où la
conscience se trouve d’exister comme conscience d’autre chose que soi. Toute
conscience vise un objet. Elle est un acte, une projection dans le monde, un
« éclatement » en quelque sorte. Les « existentialistes »
ont parlé d’un être-dans-le-monde et l’on peut dire que cet être-dans-le-monde
caractérise fort bien l’être même de la conscience : elle est tout entière
dépassement vers l’objet et transcendance. J-Paul Sartre, commentant cette idée
d’intentionnalité, décrit clairement ce mouvement de transcendance de la
conscience. Connaître, c’est « s’éclater vers, s’arracher à la moite
intimité gastrique pour filer là-bas, par-delà soi, vers ce qui n’est pas
soi. » J.-P. Sartre.
La conscience n’est pas une
intériorité pure et simple. Si elle se définit par son intentionnalité et n’est
rien d’autre qu’une visée transcendante, alors l’intérieur n’est précisément
que l’extérieur ; c’est-à-dire l’intériorité n’est rien sans
l’extériorité. La philosophie nous invite à voir dans la conscience un effort
pratique et, par conséquent, un travail moral de formation de soi à travers les
choses : « Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous
découvrons : c’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule,
chose parmi les choses, homme parmi les hommes. » J.-P. Sartre.
- La
conscience comme sélection : Henry Bergson
Pour Henry Bergson, la conscience est essentiellement
mémoire, c’est-à-dire la faculté de sélection : « Qu’arrive-t-il
quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ?
La conscience s’en retire. (…) Si conscience signifie mémoire et anticipation,
c’est que conscience est synonyme de choix » (H. Bergson : Matière et mémoire) puis
d’ajouter : « La conscience correspond exactement à la puissance de
choix dont l’être vivant dispose ; (…) conscience est synonyme d’invention
et de liberté » (L’Evolution
créatrice).
- La
conscience et le corps : la position cartésienne
La conscience et le corps, tout en
étant distinct sont cependant en union étroite. La conscience n’est pas
seulement logée dans le corps comme un pilote en un navire, elle compose un
seul tout avec lui. Il y a à la fois distinction réelle de l’âme et du corps et
union des deux composants. Le sentiment de la douleur, tout comme la faim et la
soif, m’enseignent perpétuellement cette unité indissoluble : «La nature
m’enseigne (…) par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne
suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire, mais,
outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et
mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui.» R. Descartes.
La pensée contemporaine ne sépare
même plus la conscience et le corps, l’esprit et la matière, elle les identifie
totalement. Le corps n’est pas un objet parmi les autres, objet auquel la
conscience serait unie accidentellement. Il n’est pas une substance différente
de la conscience, l’autre de cette conscience : il est le même que l’esprit.
La conscience est le corps, ici encore l’intérieur et l’extérieur se rejoignent
et coïncident. Si nous voulons sauver la conscience et l’esprit, c’est le corps
qu’il faut aussi sauver.
B)
Les
conditions de la conscience sociale : Karl Marx et Emile Durkheim
Les notions de souveraineté et
d’autonomie de la conscience sont vivement contredites de nos jours. Le Cogito ergo sum (Je pense donc je suis)
de Descartes conçoit l’homme en termes de pensée et d’action. Blaise Pascal quant
à lui affirme que « Pensée est la grandeur de l’homme ». Avec Nietzsche, la subjectivité qui fait place
à la volonté de puissance. Le monde est un faisceau de forces, pas de place
pour un sujet libre et conscient. Leibniz pense que nos actions sont déterminées
en parties par un enchaînement de perception qui oriente nos décisions, nos
choix et agissent sur nous sans que nous nous en apercevions. Nous croyons agir
librement et poser des actes qui émanent de notre volonté consciente,
cependant, une multitude de forces agissent sur nos émotions.
Karl Marx estime pour sa part que
« ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui
détermine la conscience ». Autrement dit, le matériel, voilà ce qui
détermine la conscience de l’homme. La conscience n’est pas une entité à part,
elle émane de la position du sujet concret, réel engagé tous les jours dans
l’activité matérielle de son existence. La conscience n’a pas de contenu
propre, elle ne se constitue pas dans une autonomie et une souveraineté
absolue. Son contenu est l’activité matérielle des hommes concrets.
En dépit de ces divergences de
points de vus, la conscience demeure l’instance suprême qui régit la relation de
l’homme à lui-même, aux autres et au monde.
Conclusion
Prendre conscience, c’est prendre
connaissance de la réalité pour ensuite la transformer suivant nos choix, nos
aspirations, nos intentions, nos projets. L’activité consciente est une
activité de choix, de liberté et de responsabilité. Elle se révèle dans son
essence comme la capacité d’opérer des choix judicieux, des actes rationnels
qui expriment notre liberté et dont on peut par conséquent assumer la
responsabilité. La conscience dans sa forme achevée est une conscience morale,
car c’est le jugement intérieur qui sanctionne nos actes et nos actions. La
conscience est surtout agissante, créatrice dans sa relation à l’extériorité.
Elle donne le pouvoir sur les choses et assure notre adaptation, notre
insertion dans le monde.
Quelques
questions
- pourquoi
refuse-t-on la conscience à l’animal ?
- la
conscience est-elle ce qui me rend libre ?
- suffit-il
d’être conscient de ses actes pour être responsable ?
- comment
sait-on que quelqu’un est conscient de ce qu’il fait ?
II. L’inconscience
Dans
un article paru en 1917, Freud compare la révolution provoquée par la
psychanalyse à celles de Copernic et de Darwin. De même que la Terre ne peut plus être
considérée comme le centre de l’univers et que l’homme apparaît tard venu dans
la lignée animale, de même le moi conscient n’est plus le maître dans sa propre
maison. Par sa découverte de l’inconscient, Freud souligne, en effet que nous
sommes mus, dans la plupart de nos actions, non par les mobiles que nous
croyons consciemment être les nôtres, mais par d’autres que nous ignorons et
qu’en tout état de cause nous ne pouvons connaître que partiellement.
Admettre
l’inconscient, c’est en effet renoncer pour soi-même à la prétendue maîtrise de
ses actes, à la toute-puissance de la lucidité et du vouloir ; et Freud de
conclure : « j’ai acquis l’impression de ce que la théorie de
l’inconscient se heurtait principalement à des résistances d’ordre affectif qui
s’expliquent par ce fait que personne ne veut connaître son inconscient, et
partant trouve plus expédient d’en nier tout simplement la possibilité. »
- La découverte philosophique de
l’inconscient
Descartes,
identifiant conscience et psychique, pose, d’un côté, la pensée qui se pense,
le cogito, entièrement transparent à
lui-même et à son essence et, d’un autre côté, les mécanismes corporels. C’est
ce que l’on appelle le dualisme cartésien.
Le
philosophe allemand Leibniz aborde vraiment le problème de l’inconscient, dont
il se fait l’explorateur. Ce continent si mal connu, Leibniz le visite avec des
pressentiments de génie, en particulier lorsqu’il développe sa théorie des
petites perceptions inconscientes.
Quand
je me promène au bord de la mer, ma perception consciente du mugissement des
vagues, n’est-elle pas le fruit de bien autre chose ? En vérité, mille
petites perceptions que je ne saisis pas clairement concourent à la perception
de l’ensemble. La conscience claire et transparente à elle-même n’est pas le
tout du psychisme : elle n’est qu’un degré et un passage, une éclosion et
un moment.
Nietzsche,
pour sa part, voit dans la conscience un organe secondaire et même
inutile : « la vie entière pourrait passer sans se regarder dans ce
miroir de la conscience. »
- Définition de l’inconscience
Ce
qui est nouveau chez Freud, c’est que, au-delà du point de vue affirmant qu’il
y a plus d’inconscient que de conscient dans la vie psychique, il définit
l’inconscient à partir du refoulement. L’inconscient, qui désigne un des
systèmes de l’appareil psychique, contient des représentations refoulées,
c’est-à-dire des productions mentales que la censure, barrage sélectif engendré
par l’éducation, la société et l’expérience, maintient hors du système
conscient. Le refoulement est donc, au sens propre du terme, l’opération par
laquelle le sujet repousse dans l’inconscient des représentations susceptibles
de provoquer du déplaisir à l’égard d’exigences créées généralement par notre
formation première. Freud, dans sa seconde théorie du psychisme, affirme ainsi
que le sujet est l’unité de trois termes : le Moi, conscience claire, le
ça, inconscience fait de pulsion, et le surmoi, intériorisation des interdits
parentaux.
Il
faut distinguer aussi, comme le faisait la première conception de Freud le
conscient, l’inconscient et le préconscient, c’est-à-dire ce qui n’est pas
présent dans le champ actuel de la conscience, mais qui, en droit, est
accessible au cogito transparent et
limpide.
On notera aussi
l’existence d’un inconscient primitif qui contient l’ensemble des comportements
vitaux élémentaires (réflexes, instincts).
- Légitimité de l’hypothèse de
l’inconscient
L’inconscient
freudien est donc, on le voit, une notion dynamique liée à l’expérience de la
cure psychanalytique : il est constitué de contenus refoulés qui
deviennent accessibles à la conscience quand les résistances sont surmontées
grâce à la psychanalyse, qui met en évidence la signification inconsciente de
certaines productions psychiques.
L’hypothèse
de l’inconscient est, pour Freud, rigoureusement nécessaire : les données
psychiques sont souvent lacunaires et la cure conduit à supposer des contenus
inconscients pouvant expliquer les symptômes névrotiques.
- Le désir inconscient et l’acte manqué
Si
la cure dévoile et exige l’hypothèse de l’inconscient, l’acte manqué, lui
aussi, désigne un raté de la parole et de l’action manifestant l’irruption de
l’inconscient dans la vie quotidienne. Les actes manqués sont ces actes,
innombrables dans la vie psychique, qui manquent et ratent leur but
intentionnel et expriment bien autre chose que lui : ainsi, les
troublantes erreurs d’écriture, les maladresses, les bris d’objet. Il faut les
prendre au sérieux, déceler leur sens et leur fonction chez l’individu. Car ils
révèlent les secrets les plus intimes, souvent les mieux gardés de l’être. Ils
prouvent en tout cas, chez les individus, l’existence du refoulement.
« Certains actes en apparence non-intentionnels se révèlent, lorsqu’on les
livre à l’examen psychanalytique, comme parfaitement motivés et déterminés par
des raisons qui échappent à la conscience… Font partie de cette catégorie les
cas d’oubli et les erreurs, les lapsus linguae et calami, les erreurs de
lecture, les méprises et les actes accidentels. »
- Le rêve, voie royale menant à l’inconscient
Tout
comme les actes manqués, les rêves sont des exutoires de l’inconscient. Freud
décèle dans le rêve un sens et il interprète son contenu manifeste. Il
interpole des significations inconscientes qui viennent éclairer les données
apparemment irrationnelles. Ce qu’il insère, c’est le contenu latent ou la
pensée du rêve. Le rêve cesse, avec Freud, d’être irrationnel. Voici qu’il
apparaît désormais comme la réalisation plus ou moins déguisée d’un désir
refoulé. Ce qui compte, dès lors, dans l’interprétation du rêve, c’est ce qui
est caché, son sens, en bref les idées latentes et masquées du rêve. « Si
le rêve est obscur, c’est par nécessité et pour ne pas trahir certaines idées
latentes que ma conscience désapprouve. Ainsi s’explique le travail de déformation
qui est, pour le rêve, un véritable déguisement. »
- La révolution psychanalytique
Ainsi,
Freud a-t-il montré que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et
légitime, que les symptômes psychopathologiques tout comme les rêves seraient
incompréhensibles sans cette hypothèse. En découvrant la terre encore mal
explorée de l’inconscient, il a dégagé profondément le sens caché de nos
conduites : c’est un grand herméneute, un philosophe du sens, un
interprète des comportements humains qui a déchiffré les sens cachés derrière
le sens apparent. A ce titre, le freudisme représente un acquis irréversible,
et ce, bien que la psychanalyse et Freud connaissent, de nos jours, une époque
de « vaches maigres », tout particulièrement aux Etats-Unis, mais
aussi en France.
- La critique du philosophe français
Emile Chartier (Alain)
Sur
le plan strictement philosophique et non pas culturel, la quête inlassable des
motivations inconscientes peut parfois embarrasser le penseur soucieux de
liberté et de morale. Ainsi, Alain a mis en évidence les dangers éthiques du
freudisme. Toute la morale consiste à se référer au « Je », unique fondateur de notre vie. Grossir le terme
d’inconscient, c’est aller contre toute l’éthique. Pour Alain, il ne s’agit
nullement de contester la réalité de l’inconscient, mais bien de refuser les
mythes dangereux qu’il pourrait envelopper et véhiculer. « Il faut éviter
ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces
erreurs est de croire que l’inconscient est autre Moi ; un Moi qui a ses
préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange,
diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu’il n’y a point de
pensée en nous sinon par l’unique sujet. Cette remarque est d’ordre
moral. »
Dans
l’Etre et le Néant, Sartre soumet également le freudisme à une série de
critiques dont le sens est finalement moral. Il refuse, tout comme Alain, de
faire de l’inconscient le maître de nos actes et de nos choix.
Ne cherchons
jamais d’excuses à nos actes et ne nous abritons pas derrière notre
inconscient, veut au fond dire Sartre quand il critique Freud.
a)
La conscience connaît ce qu’elle
refoule : comment concevoir une conscience qui ignorerait ce qu’elle
refoule et rejette ? Si elle répudie une tendance ou un désir, ne faut-il
pas qu’elle détienne un certain savoir et une représentation du refoulé
b)
Freud a brisé le psychisme humain :
en même temps qu’il a méconnu la transparence de la conscience humaine, Freud a
brisé le psychisme humain qu’il a ainsi dénaturé. Cette cassure est
d’importance. Freud a raté l’unité de l’homme parce qu’il a oublié l’unité du cogito.
c)
Le triomphe du point de vue
d’autrui : en brisant l’unité du psychisme humain, Freud a ainsi assuré le
triomphe du point de vue d’autrui dans la connaissance de soi. Si le cogito perd sa transparence, s’il existe
à la fois une vie consciente et des tendances inconscientes, alors la
souveraineté de la conscience sur le sens et la signification de ses états
disparaît. C’est le triomphe du point de vue d’autrui. Le psychanalyste,
médiateur entre les différents aspects du moi, peut seul me révéler à moi.
d)
La mauvaise foi : en définitive,
l’inconscient en tant que tel n’existe pas. Nul psychisme qui soit totalement
ignorant de soi-même. Ce qui existe véritablement, c’est la mauvaise foi, le
mensonge à soi-même, l’acte par lequel la conscience se dissimule à elle-même
le vrai, se laissant prendre à son propre mensonge. A vrai dire, c’est la
liberté souveraine de la conscience de soi que Sartre sauvegarde ainsi.
Ainsi,
Sartre souligne, comme Alain, les dangers éthiques du freudisme. La position de
Sartre à d’ailleurs considérablement évoluée et, dans une de ses dernières
œuvres, L’Idiot de la famille, il se rapproche de Freud et de la psychanalyse,
cette approche fondée sur la mise en évidence de la signification inconsciente
des paroles et productions.
Conclusion :
la psychanalyse comme quête du sens
Le savoir humain, a écrit Freud dans l’Introduction à
la psychanalyse, a été trois fois décentré : la première fois quand
Copernic montra que la Terre
n’est pas le centre de l’univers, la seconde fois quand Darwin signala que
l’homme ne possède pas une place privilégiée dans l’ordre biologique, la
troisième fois avec le décentrement de l’inconscient.
Freud a effectivement montré que le moi est en lien
dialectique avec les pénombres de l’inconscient. Encore convient-il de ne point
idolâtrer ces abîmes : la cure psychanalytique a précisément pour but de
rendre au sujet aliéné dans son passé la possession de lui-même.
Si le mouvement psychanalytique connaît de nos jours
un certain fléchissement, il semble toutefois que les anti-freudiens soient
allés trop loin : la psychanalyse demeure comme quête du sens et
accouchement spirituel.
Quelques sujets de
réflexion
- Sommes-nous
maîtres de nos paroles ?
- Comment
sait-on que quelqu’un est conscient de ce qu’il fait ?
- peut-on
ne pas savoir ce que l’on fait ?
- Suis-je
vraiment responsable de ce dont je n’ai pas conscience ?
- Peut-il
y avoir une science de l’inconscience ?
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