miércoles, 25 de noviembre de 2015

Chapitre 4. Autrui


Chapitre 4. Autrui
Introduction
La vision cartésienne de la conscience comme intuitivité plénière, autosuffisante, close faisant de l’homme un être pour-soi, un être-à-soi ; se verra dépassée par la conception husserlienne de la conscience comme intentionnalité, c’est-à-dire comme ouverture au monde. Avec Edmond Husserl, ce pour-soi, mieux encore cet être-à-soi devient un être-toujours-avec-autrui : « Ma conscience reconnaît l’existence d’autres consciences dans un sentiment originaire de coexistence » (Méditations cartésiennes). Emmanuel Mounier écrit : « Je n’existe que dans la mesure où j’existe pour autrui » puis de conclure en disant « Être c’est aimer » Le Personnalisme. Martin Heidegger renchérit en disant que le « Sein », c’est-à-dire l’être est un « Mit-sein » un être-avec ; en d’autre termes autrui n’est pas seulement un être-pour, mais un être-avec.
Toutefois, qui est cet autre ou ces autres avec qui je vis, je partage l’espace et que je rencontre ? Peut-on le connaître ? Si oui, comment ?   

  1. Définition
Autrui, pris dans sa racine latine « Alter » signifie le différent, autre, étranger.  Autrui, c’est l’autre sujet, un moi qui est comme moi-même, un être qui a une conscience, des passions et des préjugés. Il fait partie du non moi, du monde extérieur à moi, il est insaisissable ; cependant, il n’est pas une chose, il est mon semblable. Avec lui je forme le couple ego/alter ego (moi/ l’autre moi). Il suppose la similitude, un fond de ressemblance. Apparaissent ici deux éléments constitutifs de l’altérité : la différence et l’identité.

  1. Autrui et son altérité
a)      Altérité et différence
Autrui se caractérise par son altérité, car il a conscience de sa particularité en tant que sujet unique. Il marque alors une différence, il n’est jamais moi. Autrui est conscient de son individualité, laquelle fait de lui un être unique distinct des autres.
b)      Altérité et identité
La différence ne suffit pas pour fonder l’altérité, car elle se découpe sur un fond d’identité. Pris dans ce sens, autrui se présente comme un « alter ego », un « autre moi ». Autrui est donc à la fois et paradoxalement identique et différent de moi. Autrui, s’il est un frère, un semblable, un prochain ; il est d’abord l’Autre, le différent. C’est un autre d’une espèce toute particulière, un moi qui n’est pas moi, comme le dit Sartre en une définition célèbre : « Autrui c’est l’autre ; c’est-à-dire le moi qui n’est pas moi et que je ne suis pas» Huis clos.

  1. La nature des rapports avec autrui
C’est au XIXe siècle, avec la philosophie de Hegel, qu’Autrui fait véritablement son apparition dans le champ de la réflexion. Ce qu’a remarquablement saisi Hegel, c’est qu’Autrui est nécessaire à la constitution de ma conscience. Sans Autrui, je ne suis rien, je n’existe pas. Je dépends de l’autre dans mon être. Car je ne suis une conscience de soi que si je me forge et me forme la négation d’autrui. La conscience n’est pas une île séparée du monde et des êtres. Pour réaliser l’unité de la conscience de soi, je dois me faire reconnaître. C’est donc en moi-même que je porte Autrui. L’autre me pénètre au plus intime de ma conscience et de ma vie.

a)      La lutte des consciences de soi opposées
Ainsi, la loi de la vie humaine, c’est le conflit, c’est l’asservissement de la conscience d’autrui. Toute conscience poursuit la mort de l’Autre, dit Hegel. Cette mort poursuivie par la conscience n’est certes pas la  mort physique d’autrui. Je ne cherche pas à tuer mon adversaire pour me faire reconnaître. Ce que désire la conscience, c’est asservir autrui, ou, plus exactement, détruire son autonomie et sa liberté. En réalisant cette destruction, alors j’assure ma supériorité. Tel est le privilège de la conscience de maître. « Chacun tend donc à la mort de l’autre. » Selon A. Kojève: « Il ne sert à rien à l’homme de la lutte de tuer son adversaire. Il doit le supprimer dialectiquement. C’est-à-dire qu’il doit lui laisser la vie et la conscience, et ne détruire que son autonomie. Il ne doit le supprimer qu’en tant qu’opposé à lui et agissant contre lui. Autrement dit, il doit l’asservir. ».
La leçon de Hegel est d’importance : nous comprenons que le cogito est à la fois saisie de soi-même et saisie d’autrui, que l’autre est indispensable à notre existence. En d’autres termes, par le « Je pense », nous nous atteignons nous-mêmes en face de l’autre. Ce que la philosophie moderne nous fait découvrir, c’est le monde de l’intersubjectivité, un monde où les consciences sont plurielles, où nous sommes véritablement soudés aux autres et à leur présence. Le plus isolé des Robinson découvre ainsi autrui en chacun de ses fantasmes et de ses rêves.
b)      Le regard d’autrui : une menace pour le moi
Ces analyses hégéliennes, Sartre les prolonge remarquablement, dans l’Etre et le Néant, en explicitant le conflit humain tel que nous le vivons à travers le corps et le regard. Le fait premier, c’est bien le conflit, mais ce conflit prend un sens existentiel fort concret. C’est l’agression du regard d’autrui qui exprime le mieux ma dépendance par rapport à l’autre. En effet, le regard est ce qui me dépouille de moi-même, de ma libre transcendance, de ma « seigneurie » sur le monde. Quand autrui me regard, il met en danger, car je me découvre alors en position d’objet : « l’enfer c’est les autres ». Désormais, la situation m’échappe et je n’en suis plus maître. La rencontre avec l’autre est ma chute originelle : Autrui, par son existence même, me fait tomber dans le monde des choses. Je ne suis pas seulement une liberté, mais une chose au milieu des choses, une transcendance transcendée : « Ma chute originelle, c’est l’existence de l’autre ; … je saisis le regard de l’autre au sein même de mon acte, comme solidification et aliénation de mes propres possibilités ».
C’est dans cette optique hégélienne que Sartre va décrire toutes les relations concrètes avec autrui. « La rencontre avec autrui est heurt pour la liberté », c’est-à-dire deux possibilités extrêmes se présentent. Ou bien la conscience que je rencontre poursuit son œuvre d’objection et me transforme en « transcendance transcendée », ou bien je décide à mon tour de me faire le maître de la situation. Dans ce cas, je « piège » la liberté qui s’oppose à la mienne et je constitue l’autre comme objet. En somme, les relations humaines (amour, désir, langage, etc.) se ramènent à ce duel, qui est la racine de l’intersubjectivité.

c)      La conscience d’une humanité possible partagée
Quel jugement final porté ? Si le conflit joue un rôle manifeste dans la formation du cogito, néanmoins, il suppose bien souvent un fond de réciprocité. Prenons le duel extrême des consciences en lutte : elles ressentent alors parfois le caractère pénible et décevant de leurs rapports. Comme si, précisément, autre chose se dessinait, qui est exigé par l’intersubjectivité. La conscience de réciprocité informe le conflit. C’est donc bien le sens d’une humanité possible et partagée qui se manifeste aussi au sein de la lutte.
- La sympathie et l’amour : « La sympathie détruit l’illusion du solipsisme et nous permet de partager l’état affectif de l’autre en nous identifiant à lui », affirme Max Scheler. La vraie sympathie, au contraire, vise la personne. Au sommet de la rencontre, enfin, est l’amour, élan pur, oblatif et gratuit, vers l’Autre.

  1. La connaissance d’autrui
- Le dialogue : le conflit n’est pas la seule dimension existentielle, la rencontre s’avère possible. Le dialogue est la manifestation première de l’autre, c’est la marque même de l’humanité. Dialoguer, c’est faire une discussion par demandes et réponses, c’est reconnaître la pensée d’autrui. Sans dialogue, nulle humanité possible, nulle recherche collective. Le dialogue est le commencement de l’humanité : « Le dialogue est une recherche en commun par communications contradictoires, d’une proposition jugée vraie ou d’une solution jugée par deux interlocuteurs qui acceptent des critères compatibles de vérité et de justice. » Perroux.
-  Le visage : la rencontre, enfin, ne s’associe-t-elle pas à l’expérience du visage, comme l’a bien montré Emmanuel Lévinas ? Rencontrer un homme, c’est être tenu en éveil par l’énigme et la grandeur de son visage. Le visage d’autrui signifie invitation au respect et premier rapport à l’éthique : le visage humain est sacré et, à travers lui, j’entends : « Tu ne commettras pas de meurtre ». Même si la loi est transgressée et enfreinte, le visage possède ce sens : autrui m’est livré dans sa dimension éthique ; devant autrui et son visage, surgit l’expérience de l’autre, dont je me sens responsable. A la fois sans défense et sacrée, ainsi se présente la face de l’autre. « Le "Tu ne tuera point" est la première parole du visage. Or c’est un ordre. Il y a dans l’apparition du visage un commandement, comme si un autre me parlait. Pourtant, en même temps, le visage d’autrui est dénudé ; c’est le pauvre pour lequel je peux tout et à qui je dois tout. »
- Par analogie : les attitudes, « le sentiment de pitié me permet de communiquer avec la conscience d’autrui » J.J. Rousseau.

  1. Les difficultés liées à la connaissance d’autrui
a)      Autrui : une conscience singulière
Autrui est une conscience singulière différente de la mienne. Je ne puis pénétrer sa conscience pour savoir ce qu’il pense, désire et projette. L’analogie n’est pas un moyen sûr de connaissance d’autrui. La ressemblance n’est pas une vérité.
b)      Autrui : un moi opaque
Autrui ne se révèle pas totalement à moi à travers le dialogue. Il peut dissimuler certaines pensées : les trahisons, les hypocrisies. Autrui a toujours un masque et paraît être un mystère : « L’homme est ondoyant et divers » M.E. de Montaigne.
c)      Autrui : un mystère
Si autrui est un mystère, c’est parce qu’il est une liberté « une excédentarité inclôturable ». En tant que liberté, il est imprévisible, fondamentalement changeant.

Conclusion : le débat autour de cette notion d’autrui constitue un tournant décisif dans l’histoire de la philosophie et a permis de sortir du solipsisme cartésien. Autrui, c’est le différent, le moi qui n’est pas moi et cependant me ressemble. En admettant que « nul n’est une île », Merton souligne le caractère indispensable de la sociabilité. Autrui est celui avec qui je tisse des relations au quotidien : il peut être adversaire, ami, partenaire, etc.

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